Au XVI e siècle Léon l’Africain disait de La Marsa qu’elle était « une petite ville ancienne située au bord de la mer où se trouvait le port de Carthage », « habitée par des pécheurs, des cultivateurs et des blanchisseurs de toiles », où « le roi a coutume de passer l’été ». Ce n’était alors, semble-t-il d’après le même auteur, qu’un bourg parmi les trois qu’il a signalés sur le territoire de l’antique Carthage : Gammarth au nord, La Marsa au milieu et un troisième au sud probablement Douar Chott actuellement Carthage Byrsa.
Pour Al Békri, elle n’est qu’un « havre où les bateaux pouvaient mouiller » déjà au XI e siècle. Et à peu près à la même époque, on parlait dans les hagiographies de Sidi Mehrez, de « Marsa Ar-Roum » non loin des ruines de Carthage où le Saint patron de Tunis, aimer passer de longs moments de contemplation. Puis tout au long du moyen âge les sources parlaient parfois de « Marsa Qartagenna », d’autres fois de Marsa Ibn Abdoun ou de Marsa Al-Jarrah.
Aux époques punique et romaine la région entre les citernes de la Maalga et Jbel Khaoui (la colline de Gammarth), était surtout connue sous le nom de Mégara. Plaine fertile couverte de jardins, d’arbres, de ruisseaux où l’on aimait séjourner afin de fuir les tracas et les nuisances de la cité carthaginoise.
Dans Salammbô, Gustave Flaubert y fait se dérouler un festin offert par Hamilcar Barka à ses soldats. En raison de son nom ( Marsa ou Mers désignant un port ou un mouillage), des archéologues ont cru pouvoir y situer les ports puniques de Carthage. Mais, si la baie de La Marsa a parfois servi de mouillage, comme en 1856 pour le débarquement des troupes tunisiennes envoyées par Sadok Bey en Crimée, rien n’est encore venu confirmer l’existence d’un port à cet emplacement.
Le climat conjugué aux paysages de falaises rocheuses, forêts de pins , orangeraies et vignobles en font vite un lieu prisé des dignitaires, savants, bourgeois et artistes qui suivent la famille régnante. Car, dès le début du XIXe siècle,les beys de Tunis font ériger de nombreux palais où ils s’y installent de mai à septembre ;
La période la plus déterminante pour la Marsa semble avoir été celle de Ali Bey (18821902-) qui choisit de résider en permanence dans le palais construit par Mhamed Pacha Bey (1855-1859) appelé Dar Et-Taj ( palais de la Couronne). avant que son successeur n’entame la construction d’un pavillon dominant la plage, la Koubbet ElHaoua, destiné à dissimuler les baignades de la famille régnante. De même, sous le règne de Naceur Bey, est construit le palais Essaâda à l’intention de son épouse Lella Kmar , une odalisque circassienne qui épousa trois beys régnants successifs.
De nombreuses résidences princières et consulaires vinrent alors s’y greffer suivies, dès le début du XX e siècle, par de belles demeures habitées par des notables et hauts fonctionnaires locaux et quelques étrangers, faisant ainsi de la nouvelle cité un haut lieu résidentiel et de villégiature encore apprécié de nos jours.
Henri Dunan , fondateur de la Croix-Rouge, en visite en Tunisie en 1858, décrit la localité dans sa Notice sur la Régence de Tunis :
« Lorsqu’un étranger arrive à La Marse, tout lui annonce et lui fait sentir qu’il approche de la résidence d’un souverain d’Orient. L’animation règne aux abords du palais : ce sont les carrosses des grands de la cour, traînés par des chevaux ou des mules de prix, et conduits par des noirs à la livrée orientale ; ce sont des officiers, des généraux à cheval, des serviteurs du prince ou des Maures en grand costume ; les consuls européens dans leurs voitures ; les étrangers, les voyageurs, sans compter les caravanes d’Arabes, de Maltais, de Juifs ; ou des chameaux, des muletiers et des attelages de toute espèce et de toute sorte, qui vont et viennent de Tunis à La Marsa. »
En 1883, c’est dans cette ville que sont signées les conventions de la Marsa qui renforcent le contrôle des autorités françaises sur le protectorat.La Marsa est érigée en municipalité en 1912. Un conseil municipal franco-tunisien est créé où l’on remarque la présence, en tant que membre, du jeune et futur grand savant de l’Islam Tahar Ibn Achour. La Marsa sera ainsi appelé à devenir un grand centre urbain grâce aux lotissements qui virent le jour un peu partout à Marsa-Ville, Marsa-Plage, Marsa-Résidence, Marsa-Cube, Sidi Abdelaziz, Gammarth…Une population variée faite de fonctionnaires, militaires, commerçants… aussi bien musulmans que juifs et chrétiens occupe, d’ores et déjà, les nouveaux quartiers qui étaient venus s’ajouter au traditionnel hameau de Lahouech habité par des marsois de vieille souche souvent des agriculteurs ou des pécheurs .
La Marsa , d’ailleurs , n’assistait pas en spectatrice passive à l’action nationaliste. Dés le règne de Naceur Bey ( 1906-1922 ) , le palais beylical , sous l’impulsion du Prince Moncef , fils ainé du Bey , entretenait des relations étroites avec
les dirigeants du Destour et constituait le creuset d’un nationalisme à la fois beylical, aristocratique et populaire que Moncef Bey allait incarner avec une immense popularité pendant son court règne (1942- 1943 ) et jusqu’à sa mort survenue en 1948 .
Par ailleurs , La Marsa constituait une sorte de microcosme de la vie politique tunisienne. Résidence du Bey jusqu’en 1943 ( Lamine Bey lui préféra Carthage mais La Marsa garda son caractère de Résidence de la famille régnante ) ,
Résidence d’été des plus hautes autorités françaises du Protectorat , domicile des princes husseinites ( les conservateurs comme les nationalistes ) et de beaucoup de dignitaires du régime (les grands Vizirs Mohamed Aziz Bouattour, et Khelil Bouhageb ……, les Cheikhs Tahar Ben Achour et Salem Bouhageb…..) elle comptait aussi parmi son élite , des militants du Destour et du Néo Destour (Hammouda et Moncef Mestiri , Larbi Méhiri… Ahmed Mestiri, Taieb Mehiri …) et du Mouvement Nationaliste Zeitounien , représenté par Cheikh Fadhel Ben Achour .
Nichée au fond d’une baie du golfe de Tunis, la ville s’étire entre la colline de Sidi Bou Saïd et la falaise de Cap Gammarth. Elle se compose de différents quartiers dont Marsa Ville, Marsa Plage , Marsa Résidence, la Corniche , Lahoueche , Ettabak , Bouselsla ….Sur la route menant à Gammarth, le quartier huppé de Marsa Cubes aligne un chapelet de villas alors qu’un cimetière en bord de mer porte le nom de Sidi Abdelaziz, saint patron de la ville, qui aurait été un disciple du maître soufi andalou Ibn Arabî.
Qubbat Al-Hawa, construite sur pilotis aux alentours des années vingt du siècle dernier, aujourd’hui transformée en restaurant, constitue l’une des curiosités de la Marsa. Il s’agit d’un palais où l’on pouvait non seulement profiter de jour et de nuit, de la fraichir de la mer qui l’entoure de tous cotés, mais aussi de s’adonner au plaisir de la baignade à l’abri des regards indiscrets.
Le palais Es-Saada édifié dans un grand parc, aujourd’hui siège de la municipalité, constitue lui aussi, de par son architecture mi traditionnelle mi européenne, et surtout de par l’histoire de celle pour laquelle il a été construit, une autre curiosité. Il était offert en 1908 par Naceur Bey à la Princesse d’origine circassienne, Lella Kmar dont il était le troisième époux après deux mariages avec deux Beys successifs: Sadok Bey dont il fit l’acquisition, mort en 1882 suivi par Ali Bey en 1908. Après l’élection d’Habib Bourguiba en tant que premier président de la république tunisienne le 25 juillet 1957, il le choisit pour y habiter le temps que soit construit le palais présidentiel de Carthage. Il est alors transformé en palais d’hôtes avant d’être affecté à la Municipalité.
Des salons littéraires et intellectuels ont pour lieu les résidences de quelques savants de renom comme Cheikh Bayram V, Cheikh Tahar Ibn Achour, Cheikh Tahar Ennaifer, Cheikh Khalil Bou Hajeb marié à la princesse et femme de culture égyptienne l’Emira Nazli, qui reçoit chez lui, Mohamed Abdou, le fameux réformateur égyptien. Des Cafés : As-Safsaf non loin du Dar At-Taj, Al-Grombali dans le souk, Al-Aliya à Marsa-Ville… attirent toute sortes de personnes dont de nombreux artistes et hommes de lettre amoureux de la ville, de sa plage, de ses paysages naturels et de sa campagne verdoyante. En automne la kharja (procession) de Sidi Salah ne manquait pas d’attirer, elle aussi, la foule suivie en été par les cérémonies liturgiques organisées par la confrérie de la ‘ Aissaouia.
Un texte de Dr. Abdelaziz Daouletli