La Tunisie se positionne en tant que neuvième exportateur de vêtements vers l’UE, avec 82 % de sa production destinée à l’étranger. Des marques renommées telles qu’Armani, Moncler et Lacoste y ont établi leur présence, attirées par une main-d’Å“uvre abordable. Toutefois, les travailleurs et l’environnement paient un prix élevé pour cette réalité.
L’industrie s’appuie principalement sur une main-d’Å“uvre féminine insuffisamment rémunérée, ce qui se traduit par une augmentation des demandes d’assistance juridique du FTDES pour faire face aux abus, explique Mounir Hocine.
D’autant que l’âge moyen d’une usine textile dépasse rarement neuf ans : après dix ans, les entreprises ne peuvent plus bénéficier des avantages fiscaux garantis par la loi tunisienne sur l’investissement. « Elles font en sorte de se délocaliser à nouveau, ou de rouvrir sous un autre nom. De cette manière, personne n’est responsable des dégâts sociaux et environnementaux qu’elles laissent derrière elles », explique le FTDES, qui évoque une baisse de productivité, souvent due à une maladie, un accident ou tout simplement à l’âge.
Figure emblématique de la société civile de la petite ville de Ksibet El-Mediouni, Fatima Ben Amor en sait quelque chose. Cette jeune militante, qui a grandi après la révolution de 2011, travaille avec l’Association pour la protection de l’environnement de Ksibet (Apek) pour nettoyer la baie au sud de Monastir. Depuis des années, les usines locales utilisent la baie comme décharge pour leur pollution, qui comprend des produits chimiques tels que des colorants, de l’acide acétique, des détergents et du peroxyde d’hydrogène.
Le lavage et la teinture des jeans, une source de « fierté tunisienne » selon certains entrepreneurs locaux, sont des processus de finition impliquant de nombreux produits chimiques et une consommation massive d’eau : entre 55 et 72 litres par paire de jeans, selon le FDTES. En 2022, 11 millions de jeans ont été exportés vers l’Union européenne, dont 85% avaient subi ce traitement, rappelle Reporterre.
Le président de FTTH assure que « les grandes entreprises de la région ont toutes les certifications nécessaires et un cycle fermé permettant de réutiliser l’eau ». Cependant, la mer en face de la ville de Ksibet reste trouble. Quelques bateaux se balancent sur un tapis d’algues vertes. « Il y a trente ans, c’était une nurserie pour de nombreuses espèces de poissons méditerranéens. Aujourd’hui, il n’y a plus rien », commente un employé du port de Ksibet El-Mediouni sous couvert d’anonymat.
Plusieurs pêcheurs de la région ont confirmé la disparition de nombreux poissons. La population est également touchée : la communauté locale estime que les maladies cancérigènes sont en augmentation, mais un registre des cancers n’a jamais été mis en place. La conclusion du jeune militant est claire : « Qu’il s’agisse des humains, de la végétation ou de la faune, plus rien ne vit ici. Au profit de qui ? », se demande la même source.