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À la découverte des tatouages berbères : leur histoire, leur symbolique et leur signification.

À la découverte des tatouages berbères : leur histoire, leur symbolique et leur signification.

Depuis l’Antiquité, les femmes amazighes du Nord de l’Afrique ont pour coutume de se faire tatouer le visage et le corps. Peut-être votre grand-mère ou arrière grand-mère est (était) elle-même tatouée ? Peut-être avez-vous déjà croisé des femmes âgées tatouées de signes bleutés sur le visage, le cou, les mains ou encore les chevilles ?

 

Un texte publié sur Taszuri  

Les tatouages berbères: un rite ancestral de la culture berbère

Le tatouage, « ticṛaḍ » en berbère, est l’un des plus anciens rites de la culture berbère. Il a perduré depuis l’Antiquité avant de commencer à disparaître au XXème siècle, dans les années 40. En l’espace d’une génération, le tatouage a cessé d’être transmis. Aujourd’hui, seules certaines femmes très âgées des villages berbères continuent de les porter.

La compréhension et l’analyse des tatouages qui habillent le visage et le corps des femmes berbères n’est pas une mince affaire ! Il est bien entendu possible de retrouver certains écrits autour de cette tradition qui a marqué de multiples générations, mais les témoignages de femmes qui portent ces tatouages se font de plus en plus rares.

 

Au-delà de l’esthétique, un moyen d’expression de soi

Mais d’où viennent ces tatouages ? Pourquoi les femmes se tatouaient-elles le visage et le corps ? La première raison est purement esthétique : alors que les bijoux ont toujours occupé une place particulièrement importante, les femmes berbères se faisaient également tatouer pour embellir leur corps et leur visage à la manière des bijoux. Véritable signe de beauté, mères et belle-mères incitaient les jeunes filles à se tatouer pour différencier leurs visages de celui des hommes, pour les rendre désirables et attirantes. Dans la région berbère tunisienne par exemple, les tatouages étaient offerts par les hommes à leurs prétendantes en guise de dot. Le plus souvent réalisés à l’approche du mariage, les tatouages visaient également à conjurer le mauvais sort et éloigner le mauvais oeil.

Outre la fonction ornementale de ces tatouages, ceux-ci servaient à commémorer les épisodes importants de la vie, à exprimer un sentiment ou à symboliser un statut social. Si une femme devenait veuve par exemple, elle se faisait tatouer le menton et le cou, symbolisant la barbe du mari mort. Par ailleurs, les tatouages continuaient d’orner la peau des femmes tout au long de leur vie. Réalisés à titre thérapeutique, de nombreuses femmes s’en servaient pour guérir de maux aussi bien psychologiques que physiques.

Bien plus qu’esthétiques, les tatouages berbères sont un moyen d’expression, un signe d’appartenance identitaire mais aussi un moyen de soulager les aléas de la vie.

Classification des tatouages

selon Bouquet J. Tatouages décoratifs tunisiens. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 24ᵉ année, n°93, 1936. pp. 277-28

1° Tatouages thérapeutiques. Ils ne présentent aucun intérêt artistique. Un malade souffre-t-il d’une affection quelconque (anthrax, hématome, douleur articulaire, etc.), il se rend auprès du toubib indigène qui lui vend quelque drogue et lui conseille invariablement quelques scarifications : le patient les pratique lui-même ou bien en charge le toubib ou encore un barbier. Avec un scarificateur (mechelta) , on trace loco dolenti quelques dessins géométriques très simples : croix, losanges, chevrons pectines, triangles, petits cercles coupés par deux diamètres perpendiculaires; souvent même, on se contente de quelques points disposés en croix ou en carré. Les incisions faites, on passe sur les scarifications un doigt enduit de suie : l’opération est terminée.

2° Tatouages magiques. Leur but est d’assurer le bonheur de l’individu qui en est orné et de le préserver du mauvais sort. Chez le tout jeune enfant, de sexe masculin, le tatouage est toujours effectué par la mère à l’aide d’une aiguille, d’une pointe de feuille d’agave, d’une épine d’acacia ou de cactus. Les lieux d’élection pour ces tatouages sont les joues, le menton et le front (un peu au-dessus de la racine du nez). Ces « marques de chance » ont la forme de croix ou de V avec un point entre les branches. Un peu de noir de fumée, prélevé sur le fond de la marmite familiale, les rend indélébiles. Quelquefois, l’enfant mâle, après qu’il a subi l’opération rituelle de la circoncision, est soumis, par sa mère, à un discret tatouage sur le pubis (une croix ou des traits parallèles). Leur but est de préserver l’enfant contre les maléfices visant sa virilité (par exemple : tentatives de nouement d’aiguillettes). Chez les petites filles, comme, au moment de la puberté, il conviendra que la décoration soit augmentée, le tatouage de front (el ayacha : le porte bonheur) est, en général, exécuté par un professionnel, avec une lancette. Sur les joues, on grave des croix (debbène : mouches) ; au bout du nez, un point (arnîne), alors que sur le front et au menton, on préfère de petits traits divergents en V droit ou renversé. A la puberté, il est de règle d’accroître l’importance des tatouages des jeunes filles : on en fait exécuter deux, parfois trois : a) La sayala : ce sera l’ornement du front de la jeune Bédouine; le plus souvent, c’est un chevron pectine qui surmonte un trait vertical uniformément tracé ou fait de segments (longueur 3 à 4 cm.) : il constitue une représentation stylisée du palmier. b) La foula (fève) : elle décore le menton : c’est un triangle isocèle, dont le sommet empiète sur la lèvre inférieure; sa base dépasse la fossette du menton. La surface de ce triangle est le plus souvent pigmentée; les côtés sont plus ou moins ornés (traits parallèles, points, etc.). c) Dans certaines tribus, afin de préserver la jeune fille des entreprises contre sa virginité, sa mère grave au-dessus de chacun de ses genoux quelques points ou une petite croix : ce tatouage se nomme tesfih (ferrure, fermeture).

3° Tatouages décoratifs. Ce sont de grands tatouages ornementaux, recherchés comme signes de distinction physique et d’élégance. Actuellement, les campagnards seuls les apprécient; dans les villes importantes, on les ridiculise; j’ai entendu maintes fois à Tunis les désigner par les termes méprisants et moqueurs de « vêtements de montagnards », « broderies de Bédouins ». Ces taiouages ne s’exécutent jamais durant l’enfance, mais au temps de la « jeunesse folle »; le jeune coq de douar veut un plumage attirant pour capter les illades des jolies filles : il n’hésite pas, dans ce but, à supporter la douloureuse opération du tatouage. De nombreuses poésies et chansons populaires vantent la beauté et l’attrait des tatouages qui décorent les membres et le visage des femmes, et c’est là, sans doute pour une large part, ce qui pousse les jeunes filles, particulièrement à l’âge où elles rêvent de fiançailles à confier leurs bras ou leurs jambes à l’art du tatoueur. Pour réaliser de beaux dessins, la lancette du professionnel est, en effet, indispensable. Ces artistes circulent de douar en douar, de village en village, comme les aèdes populaires (conteurs, chanteurs et musiciens) . Toutefois , au temps où leur art pouvait enrichir , les tatoueurs renommés ne se déplaçaient pas : on venait les trouver parfois de 100 kilomètres à la ronde.

Des motifs aux lignes géométriques et à la symbolique riche

Losanges, triangles, carrés, étoiles, points, croissants de lune,… chacun des motifs utilisés pour tatouer les femmes veut dire quelque chose. L’ensemble traduit ainsi une histoire. Alors que la signification de nombre de ces symboles a été rapportée, beaucoup ne sont connues que de celles qui les portent, faisant du corps de chacune de ces femmes un jardin secret.

De manière générale, les tatouages berbères sont faciles à distinguer, caractérisés par des lignes géométriques très fines et des points. Leur symbolique gravite principalement autour de valeurs comme la franchise, la force, la prospérité, la ténacité ou l’énergie mais également autour de la féminité, la fertilité, le mariage, la guérison, le foyer… Par exemple, un trait avec trois pointillés sur le mention signifie la ligne de la vie qui n’est pas statique, mais faite aussi bien de ruptures que de continuités.

 

Article publié sur Tazuri 

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